Selon des extraits des lettres de Mam à René. Certaines ne sont pas datées.



19 novembre 1945
[Marseille] Le Ducouëdic vient d'y arriver pour son dernier voyage, chargé de 63 tonnes de très beau poisson, nous écrit l'Armement Le Garrec ... tant mieux pour les caisses de l'État ! Ce gangstérisme va tout de même se terminer, car le bateau va aller en carénage à Toulon ces jours-ci. C'eut été si simple de le faire venir en réparation à l'Arsenal de Lorient, mais on a pensé que les deux gérants peuvent bien, pour suivre la mise en état, se payer ce couteux voyage sur leurs bénéfices de guerre.
 

 

10 janvier 1946
Le Ducouëdic est rentré la nuit dernière après seulement 12 ou 13 jours de mer, mais avec une voie d'eau. Pour l'aveugler, il faut qu'il monte sur le slip. On va donc en profiter pour faire changer les tubes du condensateur. Cette réparation ne devait se faire qu'en août, au moment où les cours du poisson sont les plus bas, mais il vaut mieux faire toutes les corvées à la fois. C'est bien dommage d'immobiliser le rafiot à cette époque de l'année.
 

 

2 avril 1946
Le Ducouëdic vend à Concarneau hier et aujourd'hui. Bonne première marée (14 jours) sans anicroche, malgré le violent coup de vent des premiers jours au cours  duquel il n'a certainement pas mis ses chaluts à la mer. 45 à 50 tonnes de très beau poisson, dit le message qu'on nous a téléphoné ... à 20.000 Francs la tonne, voici les frais de mise en route couverts. S'il fait pour terminer son premier mois de pêche une autre marée aussi fructueuse, il restera un peu de fric dans nos poches quand l'État aura fait son large et habituel prélèvement.
 

 

10 avril 1946
Pendant les vacances de Pâques, il faudra sans doute que tu ailles avec Pap à Concarneau lorsque le Ducouëdic sera rentré, car avec les pirates qui guettent le poisson ainsi que le charbon, il faut une surveillance continuelle. Il est grand temps que notre bateau puisse venir à Lorient, ce qui simplifiera bien ces choses. La dernière (et la première !) vente n'a pas donné ce que nous espérions (un peu moins de 800.000Francs). Notre poisson, beaucoup plus beau, était tout de même vendu à la taxe, au même prix que s'il avait été "flachtré".
Les frais sont effroyablement élevés ... salaires de l'équipage, approvisionnement du navire, 26.000 Francs aux grignoux qui déchargeaient le poisson, puis d'inimaginables prélèvements ... 12.6000 Francs pour la caisse de retraite.
 

 

un mardi du Printemps 1946
Pap m'a téléphoné hier de Concarneau que la pêche n'est pas brillante. 1100 caisses environ, c-à-d une cinquantaine de tonnes, mais surtout du "divers" qui ne rapporte guère à l'armement. Le bateau au du rester en cap des jours et des jours. Quel dommage, car nous sommes à l'époque des
belles pêches permettant de faire des réserves bancaires nécessaires pour le temps où le bateau,  en réparation ou en carénage, coûte beaucoup sans rien rapporter. Et rien dans les prévisions météorologiques ne permet d'espérer une amélioration prochaine. On se souviendra des mois qui ont suivi le retour du rafiot à la vie civile. Papa m'a raconté, en arrivant ce soir à Concarneau. C'est la dernière marée qu'il fait là-bas. Le frigo a sorti hier 60tx de glace, production qui va croître de jour en jour. Quel souci en moins d'avoir notre bateau ici.
 

 

10 mai 1946
La marée du Ducouëdic a été plutôt meilleure. Avec son air empoté, Paul Le Grel a réussi à avoir 2 chaluts neufs avec Mr Vary la marée dernière et il a la promesse d'un autre cette marée-ci. Résultat immédiat : pêche de presque 1/3 supérieure à la dernière. Pap est parti de Concarneau avant la fin de la vente,  mais il espérait qu'elle dépasserait 800.000 Francs.
 

 

29 juin 1946
Il s'en est fallu de peu pour que le bateau ne puisse décharger, car il n'était pas annoncé à la vente. Ils n'ont eu tout de même qu'une heure de retard au débarquement. Nous avons cette fois une pêche magnifique. 1500 caisses dont environ 800 de merlus. Ça va tout de même chiffrer un peu. Il est temps, d'ailleurs.
 

 

février 1947
La grève des chalutiers est au point mort. Celle des mareyeurs vient de se déclencher. Seules quelques pinasses ont repris la mer, mais leur apport est insignifiant.
 

 

5 février 1947
Le même "zèle" professionnel animant les dockers du Port de Pêche, notre bateau n'a pu achever son déchargement hier, comme ils en avaient largement le temps, étant donné le volume plutôt réduit de la pêche. Il reste 315 caisses à débarquer ce matin. Pap était furieux hier soir et il y a vraiment de quoi. Le bateau ne repart pas, l'ordre de grève est général, mais l'État gangster qui se réserve entre tant d'autres monopoles celui des hausses, ne va sans doute pas consentir à un relèvement honnête des cours du poisson, en même temps qu'une taxation rigoureuse des tarifs des détaillants. C'est dommage pour les consommateurs.
 

 

18 mars 1947
A propos du Ducouëdic, il est toujours à quai et y demeurera tant que ne sera pas apaisée la tempête qui souffle sur nos côtes. Beaucoup de bateaux rentrent au port avec des pêches minables et des avaries. Tu as peut-être vu sur Oues-France que le Bernard-Jean, la belle pinasse de Scaviner, vient de se briser sur les récifs d'Ar-Men. L'équipage est sauvé, mais le bateau a coulé. A cause du tarif exagéré des assurances, Scaviner n'avait assuré que 3 millions un bateau qui vaut 16 millions. Ce naufrage est une ruine pour lui.
Notre bateau ne nous enrichit guère non plus, il faut remettre à plus tard le partage des premiers bénéfices (s'il y en a !) d'une année d'exploitation.
 

 

21 juin 1947
Un seul message depuis le départ du Ducouëdic reçu avant-hier. Il abandonnait le golfe où il n'y avait pas de poisson pour aller pêcher dans le Nord. Perte ennuyeuse de temps et de charbon, mais que faire ?
 

 

9 avril 1948
Ce matin, les cours du poisson ont légèrement fléchi. Ex le merlan acheté hier 80 F au bateau était vendu aujourd'hui 60 F au départ, tout emballé. Il parait que les mareyeurs ont eu un ultimatum des pouvoirs publics qui expirait à 2h cet après-midi. Il était temps de couper l'appétit de ces gangsters. Les trafiquants ne sont pas les mareyeurs de Lorient, mais des ambulants venant d'on ne sait où avec d'énormes camions. Notre rafiot est gêné par la tempête et signale : "en cap". Je crois que ce n'est pas encore cette marée qui renflouera notre compte en banque. Hier le gros Le Boulch se frottait les mains. Le "Gosse" est arrivé avec 1000 caisses de merlans qui lui ont rapporté 6 millions. Et il trouvait cela absolument naturel.
 

 

28 avril 1948
Le rafiot est rentré prématurément hie soir pour la vente d'aujourd'hui afin de passer sur le slip, raser sa barbe ... Pap et Gaby ont pensé d'autre part qu'il y a peu d'arrivage ces jours-ci et que les cours seront plus hauts, tandis que la semaine prochaine, il y aura une "foultitude" de chalutiers, grands et petits, qui amèneront un effondrement du prix du poisson. Le bateau n'a guère que 5 à 600 caisses, je ne sais au juste, mais la première tournée d'enchères, nous avons vendu 117 caisses pour 780.000 F.
 

 

24 novembre 1948
Le rafiot annonce "en pêche RAS". Il a du, comme les autres rester en cap les jours derniers, mais un bateau qui pêchait près de lui tout récemment a dit à Pap que le Ducouëdic faisait de très beaux coups de chalut quand il a quitté ses parages. 10 paniers de merlus, autant de dorades à chaque levée. Le poisson a augmenté de 34  et il fera sans doute une belle vente. Maisqu'en restera-t-il quand tous les frais, taxes, impôts seront payés ? En attendant, j'ai expédié hier près de 40.000 F au percepteur. On n'est pas plus gentil !
 

 

2 décembre 1948
Le dernier message du Ducouëdic reçu hier annonce une pêche plus minable qu'aucune autre marée : 150 caisses de merluchons, une centaine de divers, 50 chinchards. Il doit rentrer samedi pour la vente de lundi. S'il ne trouve pas, d'ici là, un banc de merlus, cette marée va aggraver encore le déficit de plus de 2 millions avec lequel Bélara a clos notre dernier exercice.
 

 

10 janvier 1949
Nous ne t'avons pas expédié les journaux parlant du naufrage du Robert-Marie, car ils n'ont donné que des détails que tu connais déjà.
 

 

7 mars 1949
Le Ducouëdic est à la vente ce matin. Il n'a que 300 à 350 caisses, mais il les vendra bien, car il n'a absolument que du beau poisson.
 

 

9 mars 1949
Le bateau a terminé sa vente ce matin seulement sur le chiffre record de 2.600.000 F. Ce n'est pas mal pour 10 ou 11 jours de mer. Il n'y avait que du très beau poisson ... pas du tout de raies, chiens ni chinchards, aussi nous avons beaucoup mieux vendu que d'autres chalutiers qui avaient annoncé un nombre de caisses nettement supérieur.
 

 

9 mai 1949
Vente 1.804.000 F
Tu trouveras ci-jointe une coupure de l'Ouest-France de samedi mettant le point final à l'enquête sur la perte du Robert-Marie. ... du moins côté Laffite, car du côté Ducouëdic et Layec, l'affaire sera close quand Laffite aura reçu la leçon méritée.
L'autre jour, il a fait passer un message au groupe de bateaux créé pour se donner aide et renseignements mutuels. Il a essayé de s'y glisser avec le nouveau Mont-Petit qu'il commande lui-même, n'ayant plus les moyens de se payer un patron de pêche. Immédiatement, Le Grel est allé alerter le groupe à la "Phonie" en disant que si Laffite y était admis, le Ducouëdic se retirait du circuit. Aussitôt, Blancho (Chaye) a transmis "moi aussi". D'un ensemble parfait et avec des commentaires qu'il vaut mieux ne pas écrire, tous les bateaux du groupe ont exclu Laffite dont Pap te fera lire le message embarrassé et filandreux, "vu que le Ducouëdic n'était pas visé, sa plainte étant contre inconnu, et vu que l'Armement lui refusait du matériel (sic), il devait, à son grand regret, se retirer du groupe". Les enquêteurs de Rennes, venus spécialement en avion de St Jacques à lann-Bihoué pour interroger Le Grel et Marcel Thomas, leur ont demander de ne pas trop esquinter Laffite. Ce brave a dû bien sûr leur demander d'intervenir en sa faveur, mais ni le Grel ni Layec ne sont décidés à desserrer les crocs...
 

 

1er juillet 1950
Le Ducouëdic est amarré en ce moment dans le bassin à flot où on lui change les tôles abîmées  et les garnitures intérieures de la cale à poisson. Il y aura encore cette année de longues et coûteuses réparations sur le rafiot et nos fonds seront sérieusement en baisse quand il reprendra la mer. Pap a préféré faire une partie des réparations dans le bassin à flot, car il eut été en 4e ou 5e position dans le bassin long du Port de Pêche.
 

 

24 juillet 1950
Ce n'est pas encore la peine que tu nous expédies le mandat de 500 F que tu nous proposes comme "contribution de solidarité familiale", car tout fait supposer que le sieur Laffite va sortir gros Jean de cette affaire. Il a dit à la veille du procès qu'il avait perdu d'avance, car "Mr Fournier est juge au Tribunal de commerce et Cadel s'est arrangé avec lui pour que la cause soit entendue avec les juges". Bien que Mr Fournier se soit désisté à la demande de Pap, le pauvre fada de Laffite trouvera certainement d'autres explications aussi valables.
 

 

5 août 1950
André a fait tirer pour toi quelques photos du Ducouëdic avant sa descente du slip.
 

 

28 août1950
Le Ducouëdic est à la vente ce matin. Ila une belle pêche (500 caisses environ). Pap n'a fait débarquer que la moitié ce matin et ne vendra le reste que demain matin, car les cours s'effondrent souvent l'après-midi.
 

 

28 septembre 1950
Le Ducouëdic vient d'arriver et Pap va faire demain à un mareyeur une avance de merlus. (C'est plus compliqué depuis que notre pauvre Gaby a disparu) qu'il remplacera à temps pour faire mercredi prochain 2 envois de poisson (1 chez les Labanot et 1 chez vous).
 

 

21 novembre 1950
[tempête] Le Ducouëdic a échappé à ce coup dur. Il devait rentrer ce soir pour la vente de demain,mais Marcel Thomas s'est aperçu dimanche soir qu'il y avait une voie d'eau assez mal placée sous la chaudière: échanges de messages phoniques avec Pap qui a donné des ordres pour rallier immédiatement Lorient. Ils sont rentrés hier matin à 9h et le refiot qui avait à peu près terminé sa pêche (1 seul jour de cape malgré le mauvais temps continuel) s'est trouvé ce matin à peu près seul à la vente : forte demande, peu de poisson, ce qui nous fait un joli total de 2.6 millions. Il y a bien longtemps qu'une telle aubaine ne nous était pas arrivée.
Comme Suzanne a obtenu de Pap qu'on mette la gérance à 3%,, c-à-d 1,5% à chacun de nous, voici une marée qui nous rapportera 39.000 F de gérance, à peu près autant ou même davantage que les 2 dernières réunies. Le Ducouëdic est monté ce matin sur le slip pour changer la tôle percée et refaire le carénage, dépenses couvertes par l'assurance. Pour une fois, nous avons du pot.



lorient-keroman-carte-postale.jpg

 

 

11 avril 1951
Nous avons eu ce matin un message chiffré du rafiot. En une semaine de mer (dont trois jour de cape), il a tout de même une pêche convenable. Malheureusement, il nous est impossible de vous en faire profiter et c'est vraiment dommage.En ce moment, le poisson se vend un prix fou. J'espère que les cours se  maintiendront la semaine prochaine. (Les consommateurs ne payent guère leur poisson moins cher quand les cours s'effondrent.)
 

 

27 mai 1951
Le Ducouëdic rentre demain pour vendre mardi, avec une belle pêche (plus de 500 caisses). Malheureusement, il doit s'arrêter prochainement pour de grosses réparations.
 

 

15 juin 1951
Malgré une pêche magnifique, le Duc n'a fait que 2 millions 400. Il y a eu mévente du poisson cette semaine. Il est arrêté en ce moment pour les réparations. Je crois que ça ira vite cette année.
 

 

6 novembre 1951
[Kopek remplace le radio à bord] Après une marée assez courte (12 jours) mais que notre Kop a dû trouver longue, le Ducouëdic rentre cette nuit pour la vente de demain. Il a essuyé 2 violentes tempêtes, 3 jours au début et 3 jours à la fin de la marée.Il s'est comporté, parait-il, comme un vieux loup de mer. Pap a parlé hier matin au chef mécanicien du Men-Gwen qui a parlé à la radio avec le "Père-la-Pipe" (Traduis : Marcel Thomas). Il lui a dit avant-hier : nous avons un passager qui a été bien servi au point de vue du temps, mais il n'a même pas le mal de mer. Heureusement que le garçon avait bien fait ses provisions, car il fume et boit ferme.
 

 

26 février 1952
Un coup de fil de l'assurance avaisait pap mardi que l'expertise aurait bien lieu samedi (le 23). Le surlendemain, un autre coup de fil : Me Léopold Dor, l'avocat de Laffite, venait de tomber malade (un abcès au poumon, je crois) et l'expertise s'en trouvait de nouveau différée.
 

 

22 novembre 1952
Pap a eu cette semaine le Ducouëdic (vente mardi, montée sur le slip mercredi soir pour une réparation de l'hélice, départ hier)
 

 

1953
[sur le slip] on lui change un placard + 2 tôles symétriques à l'endroit où le frottement des panneaux a quelque peu aminci la tôle. Suzanne Lucas est persuadée que quelqu'un a "cloué une peau de lapin" à l'intérieur du Ducouëdic pour lui porter le mauvais vent et veut trouver quelqu'un pour retrouver le corps du délit.)  Mais vraiment la coque est bonne et il eut été dommage de mettre ce bateau à la ferraille. Le Grel est allé avec lui au slip ce matin et repart avec le bateau qui va être en très bon état pour reprendre la mer.
D'autres soucis assaillent Pap. Les créanciers demandent du fric. Si seulement nous pouvions arriver à faire quelques marées convenables, le Ducouëdic pourrait de nouveau tenir sa place dans la flottille lorientaise.
 

 

Date ???
  Le Ducouëdic a terminé ses réparations et attend que la tempête s'apaise au large pour prendre la mer. En ce moment, il est mieux au port, car les quelques bateaux qui sortent ne rapportent que des pêches minables qui compensent difficilement les pertes de matériel et les dégâts causés par la tempête.

 

 

Date ??? (mercredi matin)Le Ducouëdic attend toujours de monter sur le slip. Le "Merlus" sera sans doute dégagé vendredi matin, mais Mr Paumel vient de dire ce matin à Pap que les Ponts-et-Chaussées veulent par priorité y faire monter leur drague. C'est vraiment un comble, car pour la fin de lasemaine, ça nous fait une marée de perdue à cause de cette stupide avarie du Merlus.
 

 

Date ??? (De Pap, un jeudi soir)
Le procès Ducouëdic-Laffite vient d'avoir son épilogue à la Cour d'Appel de Rennes où Laffite s'est vu confirmer le jugement antérieur avec toutefois une petite addition de 50.000F x 3 pour appel abusif.

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