La maison de maître avait été construite au début du XXe siècle par un grossiste en boucherie qui l'avait accolée à ses étables. Jusqu'à ce qu'on l'achète en septembre 1972, elle était louée avec ses 20 hectares de prairie à une famille d'éleveurs : Louvel. Quand la propriété a été mise en vente, l'éleveur a acquis les terres et nous avons acheté les bâtiments sur 4000 m2.
Les locaux avaient été occupés par les Allemands pendant la guerre. Ils avaient surélevé la tour de l'escalier pour y installer un mirador. La baie d'Authie constituait en effet un lieu possible de débarquement depuis l'Angleterre et cette maison faisait partie de la ligne de défense allemande sur cette côte. Les Anglais le savaient bien qui essayèrent de bombarder la maison : 2 séries de 5 trous de bombe se croisent non loin de la maison où elles ont créé des mares, bien alignées, pour qui sait en lire la carte. La charpente de la maison se souvient des bombardements : un architecte avait souligné les effets du souffle sur la poutraison ; il disait que la charpente avait "flambé", ce qui est le terme technique pour indiquer qu'elle était inclinée. Mais ces poutres là ont un jour flambé pour de vrai dans un incendie causé par un court-circuit.
Lors de la Libération, alors que les Allemands étaient partis depuis longtemps, une équipe de joyeux drilles a voulu jouer aux résistants et a criblé la maison de tirs de grenades. Les dommages de guerre ont couvert les dégâts qu'ils avaient causés, eux, et pas les Allemands. Quand nous y sommes arrivés, la maison était inhabitée depuis l'avant-guerre, enfin sauf la période de l'Occupation.
Les Allemands avaient tiré une ligne électrique depuis la route et ce fut la seule période où la maison fut connectée au réseau électrique, jusqu'à ce que les actuels propriétaires en financent l'électrification. Quand notre famille en était propriétaire, de 1972 à 1990, l'électricité était celle du groupe électrogène d'occasion que nous avions acheté aux enchères à EDF. C'était un groupe de secours qui tournait au gas-oil, plutôt volumineux et qui était calibré pour alimenter tout un canton en cas de panne de secteur ! Les armoires de commande étaient impressionnantes. Nous ne l'allumions qu'en soirée, au grand dam des chasseurs de la baie qui n'appréciaient pas le raffut.