Canada : les feux de forêt atteignent Jasper, les pompiers luttent pour protéger un oléoduc

Par Le Figaro avec Reuters - Publié le 25 juillet 2024

La ville touristique a été détruite à 30% par les flammes. L’incendie reste considéré comme «hors de contrôle» et continue de se propager, selon les autorités canadiennes.

Samedi, des températures plus basses et de la pluie ont apporté un peu de répit vendredi aux pompiers qui luttent contre un gigantesque feu de forêt qui a dévasté une partie de la ville touristique de Jasper, dans l'ouest du Canada. «Il y a encore quelques foyers d'incendie dans la ville que les équipes d'intervention s'efforcent d'éteindre, mais la majorité sont éteints», a expliqué James Eastham, porte-parole de Parcs Canada, à l'AFP. 

L'organisme a précisé que 30% de la ville de 5000 habitants a été détruite par cet incendie qui reste considéré comme «hors de contrôle» et continue de se propager. Il a déjà brûlé plus de 36.000 hectares. Il faudra «plusieurs semaines» pour maîtriser l'incendie selon les autorités, et le retour des habitants «sera difficile», a souligné Richard Ireland, le maire de Jasper. «C'est une peine indescriptible, qui dépasse l'entendement».

La localité se trouve au cœur du parc national de Jasper, le plus grand du Canada, qui est connu pour ses montagnes, glaciers, lacs et cascades et qui attire 2,5 millions de visiteurs tous les ans. Les températures moins élevées et la pluie devraient aider à maintenir les «incendies à un niveau bas au cours des 72 prochaines heures», a indiqué Parcs Canada, qui gère les parcs nationaux canadiens et coordonne la lutte contre les feux dans la zone.

400 pompiers venus de Nouvelle-Zélande, du Mexique et d'Afrique du Sud

L'armée est attendue en renfort, ainsi que 400 pompiers étrangers venant de Nouvelle-Zélande, du Mexique et d'Afrique du Sud. Aucune victime n'est à déplorer, les 25.000 habitants et touristes présents dans la zone ayant été évacués dans la nuit de lundi à mardi quand le feu a soudain pris de l'ampleur, prenant de vitesse les pompiers.

L'incendie a été provoqué par la foudre lundi après-midi, selon Parcs Canada qui parle de flammes atteignant plus de 100 mètres de haut. Et les fortes rafales de vent de mercredi après-midi ont poussé l'incendie sur 5 km en moins de 30 minutes, a déclaré Mike Ellis, ministre de la sécurité publique et des services d'urgence de l'Alberta. De nombreux départs de feux ont été déclenchés ces derniers jours par la foudre dans l'ouest canadien touché par une très forte sécheresse. Au total, dans la province de l'Alberta, 163 incendies sont actifs.

Avec le réchauffement climatique, le Canada est de plus en plus souvent frappé par des événements météorologiques extrêmes. Et le pays craint de revivre une année catastrophique comme celle de 2023, quand il a enregistré la pire saison des feux de son histoire avec 15 millions d'hectares brûlés et plus de 200.000 personnes évacuées.


La ville de Jasper ravagée par les flammes

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(Jasper) « C’est un monstre. » L’incendie de forêt qui a brûlé près de la moitié de Jasper, station de villégiature emblématique de l’Alberta, n’était toujours pas maîtrisé en fin de soirée, jeudi. Résidences réduites en cendres, carcasses de véhicules calcinées : les premières images de la ville depuis le passage du brasier montraient des rues entières rasées par les flammes, suscitant l’émoi partout au pays.

    « Je pense que je me souviendrai toute ma vie de cette soirée. »

Julien Mailhot est serveur depuis une dizaine d’années au restaurant du Jasper Park Lodge. Il travaillait, lundi soir, lorsqu’il a senti que quelque chose clochait. « Le vent s’est levé, le ciel est devenu orange. On a arrêté de prendre les commandes au restaurant. Il y avait de la fumée jusque sur le lac, on ne voyait plus rien », raconte-t-il.

Peu de temps après, il a reçu une alerte, puis un ordre d’évacuation. « Tout est allé très vite », dit-il. Il est rentré chez lui, a attrapé quelques affaires et est parti sur la route avec sa femme, sa fille de 7 ans et leurs deux chats. « Je me disais qu’on allait revenir dans deux ou trois jours », confie-t-il.

Soixante-douze heures plus tard, depuis un hôtel de Grand Prairie, il surveille avec inquiétude les images de Jasper qui circulent sur les réseaux sociaux. Selon les informations qu’il a pu en tirer, plusieurs bâtiments auraient brûlé près de chez lui. Sa maison aurait peut-être été épargnée, mais un brasier est toujours actif non loin. « On est complètement dans le flou », lâche-t-il. « Je ne sais pas quand je pourrai y retourner pour récupérer des affaires. »

De 30 à 50 % de la ville détruite

En à peine quelques heures, les flammes ont ravagé la ville de Jasper.
« C’est le pire cauchemar de toute collectivité », a réagi la première ministre de l’Alberta, Danielle Smith, retenant ses larmes. En conférence de presse jeudi, elle a estimé que les infrastructures de la ville étaient touchées dans une proportion de « 30 à 50 % », annonçant une « reconstruction importante ».
« Vous avez vu les images comme moi », a-t-elle laissé tomber, soulignant le travail des pompiers risquant leur vie pour sauver une municipalité « unique », située au cœur du parc national de Jasper.
Prisée des touristes, la destination est connue pour ses routes panoramiques, sa chaîne de montagnes et ses lacs à l’eau émeraude. Mais elle était menacée depuis lundi par des incendies de forêt qui progressaient rapidement.
Attisées par des vents forts, les flammes ont atteint les portes de la ville en début de soirée mercredi, malgré des efforts continus pour contenir le brasier.
« À ce stade, c’est juste un monstre », s’est désolé le directeur du programme national de gestion des incendies à Parcs Canada, Pierre Martel, jeudi. Nous n’avons aucun outil dans notre boîte à outils pour gérer ça.
Au total, 25 000 personnes ont été évacuées de la région, pour la plupart des touristes en visite au parc de Jasper. Aucun blessé n’a été rapporté, ont souligné les autorités.

Certains bâtiments ont pu être sauvés, d’autres non

Les résidants de Jasper sont restés dans le noir pendant une bonne partie de la journée, jeudi, quant à l’ampleur des dommages matériels.
Vers 19 h, les autorités du parc national de Jasper ont annoncé sur X que « toutes les infrastructures essentielles de Jasper [avaient] été protégées avec succès, notamment l’hôpital, le bâtiment des services d’urgence, les écoles primaires et secondaires, le centre d’activités et l’usine de traitement des eaux usées ».
Le brasier aurait cependant touché une grande partie de l’ouest de la ville, selon les autorités.
La baisse de la température et la pluie qui est tombée sur la région jeudi ont quelque peu facilité le travail des pompiers qui s’affairent à contenir les flammes, mais le feu n’est toujours pas maîtrisé.
Le brasier semble toutefois avoir traversé le centre de la ville, brûlant au passage une église et un hôtel, selon des images circulant en ligne.

Situé à quelques kilomètres de la ville, l’emblématique Jasper Park Lodge, où travaille Julien Mailhot, a lui aussi été la proie des flammes.
« Nous ne connaissons pas encore l’ampleur des dégâts », a déclaré la direction de l’établissement sur les réseaux sociaux, jeudi.
Une vidéo devenue virale en ligne montre un paysage de dévastation totale, des rues entières rasées par les flammes défilant devant la caméra sous un écran de fumée.
« Nous commençons à comprendre l’impact dévastateur de l’incendie », a réagi le maire de Jasper, Richard Ireland.
La localité travaille avec « tous les ordres de gouvernement » pour coordonner les efforts de secours et fournir les ressources nécessaires, a-t-il assuré.
Le ministre albertain de la Forêt et des Parcs, Todd Loewen, a parlé de son côté d’une « journée dévastatrice dans l’histoire de notre province ».

Rouler en panique à travers les flammes

Personne ne s’attendait à ce que les flammes se propagent aussi rapidement.
Marie-Ève Deschênes campait avec sa famille dans les environs de Jasper, en début de semaine, lorsque la qualité de l’air s’est rapidement détériorée. En l’espace de quelques heures, le ciel a tourné à l’orange.
Vers 22 h, un avis d’évacuation avait été lancé pour tous les campeurs. « Des camions passaient avec des mégaphones pour avertir tout le monde », a-t-elle raconté à La Presse.
Le moment le plus stressant a toutefois été l’attente de trois heures en file pour sortir du parc. « Plus on attendait, plus la cendre s’accumulait sur l’auto, plus il y avait de fumée », détaille-t-elle.
Elle raconte avoir ensuite roulé sur une route cernée par les flammes en pleine nuit avec ses jeunes enfants, pris de panique.
« Cette rafale a déplacé cet incendie de cinq kilomètres en probablement moins de 30 minutes, avec un mur de feu d’environ 100 mètres de haut », a déclaré le ministre de la Sécurité publique de l’Alberta, Mike Ellis.
« Vous ne pouvez pas faire grand-chose, voire rien, quand un mur de flammes arrive sur vous comme ça », a-t-il poursuivi.
Au moment de l’entrevue, Marie-Ève Deschênes était de retour chez elle à Cochrane, à près de 400 kilomètres au sud-est de Jasper, où des incendies de forêt sévissent aussi.

      C’est triste de voir à quel point il y a tout le temps des feux. Je suis triste pour les gens qui vont perdre leur maison, pour l’impact sur l’environnement.  Marie-Ève Deschênes

Des renforts attendus

Les autorités espéraient que la pluie prévue jeudi ralentirait la progression des flammes.
Or, bien que bénéfique, elle n’a pas été « suffisante pour avoir eu un impact significatif sur la situation générale, qui reste hors de contrôle », a déclaré Parcs Canada.
Pour l’instant, les équipes sur le sol s’efforcent de préserver les infrastructures essentielles comme la station d’épuration et l’oléoduc Trans Mountain.
Plus de 400 pompiers du Mexique, d’Afrique du Sud, d’Australie et de la Nouvelle-Zélande sont attendus au cours des prochains jours pour aider à combattre les incendies en Alberta.

Le premier ministre Justin Trudeau, qui a convoqué une réunion du Groupe d’intervention en cas d’incident jeudi, a aussi confirmé le déploiement de l’armée canadienne, à la demande de l’Alberta.

       « Les images en provenance de Jasper sont déchirantes, et je tiens à remercier les courageux premiers intervenants en Alberta qui se battent pour sauver chaque maison et chaque communauté. Merci de votre courage et de vos efforts inlassables pour lutter contre ces incendies de forêt », a-t-il déclaré sur X.

Il n’y a pas qu’à Jasper qu’on craint les flammes. D’autres municipalités sont sur le qui-vive. En ce moment, 175 incendies de forêt font rage à travers l’Alberta, dont 51 ne sont pas maîtrisés. En Colombie-Britannique, 425 incendies sont actifs, dont 59 se sont déclarés dans les dernières 24 heures.

Qu’est-ce qui se trouve à Jasper ?

Un peu moins de 5000 personnes vivent à Jasper, situé en plein cœur du parc national du même nom. Destination touristique prisée pour ses lacs, ses forêts et ses rivières, le parc abrite des dizaines d’espèces, dont le wapiti, la chèvre de montagne et le lynx. Depuis 1984, il est inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO avec les autres parcs des Rocheuses canadiennes. « Aussi loin que l’on remonte dans le passé, divers peuples autochtones ont utilisé ce territoire comme lieu de rencontre, de rassemblement, de voyage et de résidence. Plus de 26 partenaires autochtones sont toujours liés à cette région », peut-on lire sur le site web de la municipalité.

Léa Carrier et Tatiana Mulowayi-Pelletier, La Presse