Campagne du 13 mai au 26 juin 1940

Extraits des carnets de campagne du Lieutenant : Louis Bourlaud

 Le lieutenant Louis Bourlaud sur sa jument Jacynthe à Gries en septembre 1939

Le lieutenant Louis Bourlaud sur sa jument Jacynthe
à Gries en septembre 1939

14e batterie du 5e groupe du 212e RALD

Colonel Tatou commandant le 5e groupe
Capitaine Montargès commandant la 14e batterie
Lieutenant Bourlaud à la 14e batterie
Sous-lieutenant Degoy à la 14e batterie

 

Itinéraire de Louis Bourlaud

Itinéraire de mai -juin 1940

 

Les gradés de la 14e batterie à Liffol-le-Grand Vosges en septembre 1939

Les gradés de la 14e batterie lors de la mobilisation en septembre 1939
à Liffol-le-Grand dans les Vosges (Sauf le lieutenant  Bourlaud, en mission)

 

Lundi 13 mai 1940

Nous quittons la Champagne et Chavot, après 3 mois ½ de repos pendant lesquels nous avons pu apprécier les crus locaux. L’impression est que cette fois-ci la guerre commence, nous avons confiance.

L’embarquement de la 14e batterie s’effectue à Avize dans de bonnes conditions. En fait nous ne connaissons pas au départ notre destination, aussi les hypothèses sont-elles variées.

 

Manoeuvres près de Chavot

Manoeuvres près de Chavot (Marne)
Colonel Tatou, commandant le 5e Groupe
Capitaine Montargès comandant la 14e batterie
Lieutenant Bourlaud à la 14e batterie
Sous-lieutenant Degoy à la 14e batterie

 

 

Mardi 14 mai 1940

Départ à 3h, l’embarquement s’était effectué sans trop de difficultés.

Des bruits de bombardements commencent à circuler, Epernay aurait été atteint, ce qui nous amuse car nous en venons. Reims aussi, que nous traversons au matin, aurait souffert de l’aviation boche. Nous ne constatons aucun dégât. Nous passons à Saint-Quentin ce qui me rappelle qu’il existe une CGFT, j’ai le souvenir d’une église ou d’un château perché sur la colline, dominant la ville.

 

ItinéraireChavrot Haumont 13 et 14 mai 1940Du train nous apercevons de beaux entonnoirs de part et d’autre de la voie ; dans un camp d‘aviation, les trous sont nombreux mais aucun avion ne s’y trouve. Le terrain est inutilisable. Nous n’y attachons pas autrement d’importance.

Près d’Aulnois, d’énormes entonnoirs ont été creusés par des bombes d’avion, la voie et les ponts ont été atteints. Des équipes travaillent au rétablissement du trafic.

 

Des bruits, décidément, il en circule pas mal, de destruction du train précédent contenant des artilleurs se précisent et font réfléchir certains. Nous apprenons après coup que nos camarades du 212e ont cru un certain temps que nous étions parmi les victimes. En réalité il s’agissait d’un train de chasseurs attaqué à la bombe et à la mitrailleuse, une bombe avait fait une dizaine de tués. Nous avons vu le train en gare d’Aulnois, évidemment c’était du travail bien mené.

 

A 16h, débarquement à Hautmont près de Maubeuge. La ville est pleine de vie, les gens paraissent insouciants. Nous sommes survolés en cours de déplacement par une escadrille allemande, combat aérien incertain ; je fais abriter les hommes dans un chemin creux en attendant la fin de la bagarre, puis nous repartons en direction de Ferrière-la-Grande où nous arrivons vers 20h. On me signale des blessés civils aux environs.

Les hommes installés, nous nous préoccupons de nous mêmes, mangeons vers 22h30 ; à 23h nous nous couchons. J’ai la chance, dans une maison avec salle de bain, je m’en réjouis à l’avance.

 

Mercredi 15 mai 1940

Malheureusement à 1h réveil en fanfare, nous quittons le cantonnement à 3h. Adieu la salle de bain et les délices que j’en attendais …

Il s’agit de traverser la Sambre avant le jour pour aller en Belgique.

Le groupe part à 3h30, immédiatement se produit un encombrement effarant sur la route, tous les groupes, toutes les unités en mouvement veulent passer la Sambre avant le jour. Inutile de penser à se mettre en DCA. Nous finissons par passer la Sambre à 7h sous la protection de nos avions et de la DCA. Nous assistons à de beaux tirs groupés sur des avions boches qui n’insistent pas.

Après Jeumont, la 14e batterie entre en Belgique à Erquelinnes qui vient d'être bombardée. La route est utilisée dans un sens par le dispositif militaire qui avance en rangs serrés, artilleurs, fantassins et personnel du génie plus ou moins mélangés. Dans l'autre sens, il y a un lamentable cortège de Belges encombrés de bagages qui fuient l’invasion de leur pays par l'armée allemande.

Pendant toute la journée, nous continuerons à offrir aux Allemands une cible de premier choix, aucun avion français ou anglais n’est en vu, il semble que tout soit permis aux Allemands qui ne font rien encore.

A Erquelinnes, les Belges nous avaient offert du chocolat, des cigarettes, des cigares, nous les réconfortions par de bonnes paroles, ils en avaient besoin car la ville vient d’être bombardée.

 

Itinéraire entre Haumont et Mont-Sainte-Geneviève les 15 et 16 mai 1940
Itinéraire entre Haumont et Mont-Sainte-Geneviève les 15 et 16 mai 1940

 

 

Vers 11h, la 14e batterie s'installe dans les bois du mont Sainte-Geneviève, à l’Est de Charleroy ; à peine est-elle arrivée, que la route est bombardée par l'aviation allemande ; intervention de la DCA et de chasseurs alliés. La 14e batterie n'est pas atteinte par le bombardement.

Tout le 5e groupe du 212e RALD est concentré près d'un carrefour facilement repérable ; la position de la 14e batterie ne paraît pas très confortable, aussi est-elle aménagée rapidement.

Elle est mise en position d'alerte de 20h à 24h ; le capitaine Montargès est à l'observatoire. A la fin de l'alerte, nous couchons sous la tente à même le sol.

Au cours de l'après midi, des avions boches ont été accueillis par une DCA bien nourrie. Ce qui nous réjouit le cœur. Tout paraît bien aller.

Jeudi 16 mai 1940

Réveil à 4h ; continuation de l'aménagement de la position avec des tranchées, des abris. L'aviation ennemie survole le secteur, la DCA intervient et la repousse ; nous continuons à nous réjouir.

Nous apprenons que la colonne de ravitaillement commandée par le lieutenant Roblot qui appartenait à la 14e batterie lorsque celle-ci était en position en Alsace, a été bombardée dans le village Sainte-Geneviève.

Le sous-lieutenant Degoy passe la nuit à l'observatoire de la 14e batterie, celle-ci étant en position d'alerte de 20h à 24h comme la nuit précédente. Il assiste à la destruction de ponts sur la Sambre à 3 km de notre position. Le PC du groupe intervient plusieurs fois pour faire déclencher des tirs.

La destruction des ponts sur la Sambre nous préoccupe.

 

Vendredi 17 mai 1940

Réveil à 4h ; un repli de nos troupes derrière la Sambre est envisagé. L'aviation allemande redouble d'activité ; des vagues successives passent ; nous voyons les avions faire des piqués, bombarder, mitrailler les fantassins ; l’impression est puissante. Aucune intervention de notre DCA, ni de de notre aviation. Nous nous demandons pourquoi, la rage au cœur. Les boches insistent, ils ont évidemment la partie belle. Vagues, piqués, explosions, vrombissements, c’est du beau travail.

Vers 10h, nous faisons un accrochage de l’autre coté de la Sambre qui est évacué par notre troupes (4500m). Les autres batteries du groupe en font autant et procèdent à quelques tirs. Nous mêmes effectuons un tir à 23h (28 coups seulement). Le capitaine est à l’observatoire. Les 13e et 15e batteries ont tiré environs 100 coups chacune.

Au cours de l'après midi, des fantassins, puis des artilleurs refluent sur nos positions ; beaucoup l'air hébété ; ils sont sans armes, certains nous parlent des bombardements, des mitraillages qu'ils ont subis : ils paraissent harassés, démoralisés.

J'ai l'impression comme les autres que nous ne tenons pas le coup devant les Allemands, je ne comprends pas pourquoi on ne nous demande pas de tirer.

 

Brusquement, ordre nous est donné de nous replier rapidement, il est 23h30, le départ doit s’effectuer à 3h le 18. Il faut sortir les pièces du bois après avoir fait le plein d'obus dans les camions ; il n’y a pas de temps à perdre. Nous sommes furieux de laisser sur le terrain une grande partie des munitions qui ont été apportées dans la journée.

 

Itinéraire Mont-Ste-Geneviève-Bois-Lanière17-18-19mai 1940
Itinéraire Mont-Ste-Geneviève-Bois-Lanière17-18-19mai 1940

 

 

Samedi 18 mai 1940

Le Capitaine Montargès rentre de l'observatoire et le départ a lieu vers 3h30 ; la route est encombrée de fantassins, d'artilleurs et de leur matériel. C'est une retraite de l'armée et nous ne comprenons pas ; nous avons l'impression de ne pas avoir eu l'occasion de combattre beaucoup, du moins en ce qui concerne le 5e groupe du 212e RALD.

L'optimiste sous-lieutenant Degoy y voit une vaste manœuvre qui consisterait à attirer l’Allemand sur les fortifications de la ligne Maginot à Maubeuge.

Peut-être a-t-il raison mais je trouve qu'il y a beaucoup trop d'hommes sans arme, trop d'unités qui apparaissent désorganisées …

Il est vrai que la ligne Maginot doit être elle bien garnie et ceci permet l’espoir.

Je pars avec le commandant Breiner et les lieutenants de Rodelek et Schaller des 13e et 15e batteries à la recherche de position de batterie devant Maubeuge. Le repli est donc important.

Nous rencontrons des colonnes de troupes en opération de repli, l'impression est de plus en plus pénible ; les fantassins surtout paraissent en débandade ; les civils fuient, affolés.

Nous comptons passer par Erquelinnes, nous nous engageons dans la ville lorsqu'un commandant du génie nous fait faire demi tour après nous avoir indiqué que les Allemands sont à 25 mètres de l'autre coté de la Sambre. Nous sommes ahuris, je commence à comprendre pourquoi le repli est si rapide ; le flan droit de notre secteur a dû céder.

Les Allemands longent la Sambre pour pouvoir vraisemblablement nous prendre à revers.

Nous faisons le même travail sur l’autre rive, seulement ils vont plus vite que nous.

Nous arrivons à Maubeuge par une autre route sur laquelle des pièces d'artilleries de gros calibre de l'armée belge sont hors d'usage à la suite d'un bombardement ; des voitures déchiquetées sont renversées, des chevaux morts sont restés sur le terrain.

Nous ne pouvons traverser Maubeuge qui vient d'être bombardée ; un énorme entonnoir a été creusé sur la route, il est plein d'eau par la suite de la rupture d'une canalisation d'eau.

Nous contournons Maubeuge et effectuons la reconnaissance des positions de tir possibles au cours de laquelle nous essuyons un tir de mitrailleuse, plat ventre de circonstance, nous pensons qu'il provient de parachutistes à moins qu'il ne s'agisse d'une erreur de soldats français.

Les positions de batterie retenues ne me conviennent pas, mais il faudra quand même les occuper faute de mieux.

Retour vers les batteries, nous repassons dans les faubourgs de Maubeuge où nous sommes encore accueillis par des tirs de mitraillettes sans dommage. Survol d'avions allemands qui nous mitraillent au passage, plat ventre à nouveau dans les orties.

Les batteries finissent par nous rejoindre aux environs de Maubeuge à notre grand soulagement, car nous craignions qu'elles aient eu à souffrir des bombardements, leur déplacement s'effectuant en plein jour.

Des chars allemands sont signalés à proximité, moment d’hésitation : devons nous rester sur place ou devons nous continuer ? Ordre nous est donné de contourner Maubeuge qui est paraît-il maintenant aux mains des Allemands, un fort aurait-il été livré par les communistes ?

Nous allons cantonner dans les bois de la Lanière ; notre exode s'effectue toujours en plein jour ; il y a une concentration énorme de troupes sur la route survolée par moment par l'aviation allemande.

L'arrivée a lieu vers 11h après une marche sans arrêt des batteries du groupe depuis le départ du cantonnement du bois du Mont Sainte-Geneviève à 3h30.

En cours de route, nous assistons au bombardement de Hautmont ; une citerne d'essence est en feu. Je pense aux pauvres gens qui, il y a 3 jours à peine, nous accueillaient de si bon cœur et nous voyaient partir avec l'espoir que nous participerions à la délivrance de la Belgique et la Hollande …

Le 18 mai au soir, la 14e batterie se met en position à la sortie de Flégnie en direction de Maubeuge. 12e RAL et 212e RALD réunis.

Au cours de la nuit, petite attaque allemande dans notre secteur, nos échelons sont bombardés sans dommage.

Nous apprenons qu'il n'y a plus de fantassins entre nous et les Allemands ; dans la journée j'ai vu des Marocains d'une unité de notre division traverser les uns après les autres avec leurs armes notre position calmement et silencieux.

Les batteries doivent se retirer en grande hâte vers 4h le 19 mai sans avoir tiré un coup de canon sur cette position. La liaison avec l’infanterie ne s’était pas établie ! Vraiment il y a des choses inconcevables.

 

Dimanche 19 mai 1940

A défaut d'infanterie, un canon de 155 du 212e RALD est mis en position de tir sur la route pour arrêter une éventuelle arrivée de chars allemands. Je ne sais s'il a pu rejoindre le groupe par la suite.

Une partie du 12e RAD reste sur place pour faire un môle de fixation, il est commandé par le colonel André qui décide de résister.

Par la suite, un lieutenant qui a pu rejoindre le PC du régiment pour réclamer des munitions a indiqué que le colonel André tenait toujours, qu'il avait pris sous ses ordres des fantassins, des chars et répondait à toutes les attaques allemandes.

Une batterie du 12e RAD commandée par le lieutenant Loiseau a pu échapper, grâce à un gué, à l'étreinte allemande et rejoindre le 5e groupe.

Les ordres sont de rejoindre Bavay puis en cours de route, contre ordre, il faut revenir au bois de la Lanière ; la route nationale sur laquelle la batterie fait demi tour est encombrée de débris de toutes sortes, voitures renversées, chevaux déchiquetés ; un civil qui a été tué n'a pas été enlevé, reste étendu au soleil ; des civils fuient en toute hâte.